UN JARDIN SOUS LES PAUPIÈRES
Texte de Nathalie M’Dela-Mounier, écrivaine.
Livre à paraître
Une après-midi d’automne, dans un jardin urbain où je vais parfois me ressourcer, une femme est venue à ma rencontre. Elle disait me connaître. Je n’avais fait que l’apercevoir dans des rencontres littéraires et militantes. Elle prétendait m’attendre. En fait, elle attendait plutôt de moi que je raconte l’histoire qu’elle vivait et portait en elle comme une enfant trop agitée. Elle était convaincante et lumineuse. J’ai eu envie d’être éclaboussée par cette lumière dont j’ignorais la source mais percevais l’exaltante intensité.
Curieuse, j’ai accepté sans rien espérer de précis. Bien m’en a pris, car rien ne s’est passé comme ça aurait pu, ou dû.
On n’est jamais prêt à un raz-de-marée.
Elle m’avait laissé toute latitude pour évoquer son récit, me donnant pour consignes de conserver l’écriture imagée qui est la mienne, de m’attacher à son histoire afin qu’elle puisse s’en détacher et de ne jamais la décrire ni dévoiler son identité. D’où le « L. » choisi pour la narration. D’autre part, nous avons convenu que je devrais m’efforcer de découvrir le plus possible de jardins pour la comprendre, ici, ailleurs, partout, car ils étaient constitutifs d’elle-même. J’ai adoré découvrir ces espaces auxquels je me suis ouverte, qui me sont devenus peu à peu indispensables et nourriciers.
L. s’est donc racontée, d’une manière tour à tour brute et métaphorique, à la fois sensuelle et pudique, onirique et poétique. C’est ce que j’ai voulu respecter en plongeant dans l’écriture de son histoire ordinaire qui s’avéra bouleversante.
À sa suite, j’ai exploré mille et un jardins. Ensemble, nous avons arpenté son vécu et ses émotions crues réverbérés par des murs enchâssant un monde hostile, sans chercher à rien maîtriser, jusqu’au jour où moi comme elle avons pensé l’histoire terminée. M’attardant sur la relecture du récit pour ne rien omettre ni trahir, j’étais secouée par sa puissance, sa résonance et son étrangeté ; par son incomplétude aussi. Je l’ai fait lire à François Lepage, artiste photographe, dont je sais la sensibilité, l’amour de la nature et celui des jardins. À ce moment-là, il travaillait sur le balisage d’un sentier de promenade par des compositions qui faisaient curieusement écho à ce texte. Touché et enthousiaste, il a trouvé ce qui pouvait révéler mieux en- core la lumière qui sourdait. Et c’est ainsi qu’est née l’idée d’habiller de photographies l’enfant de mots qui ne voulait pas aller nu.
Ça aurait pu s’arrêter là.
Comme la fin d’une gestation heureuse.
Comme une paisible naissance attendue.
Mais l’histoire a refusé de se terminer, la narration s’est emballée, nos cœurs et l’écriture – qu’elle soit de mots ou de lumière – aussi, car il était impossible de faire autrement.
On n’est jamais prêt à un raz-de-marée.
Ce que L. a vécu, dit, tu, rêvé, nos échanges, ceux que nous avons eus avec d’autres pour prolonger la réflexion, nous les avons pris comme une vague gigantesque qui nous a soulevés, brassés puis rejetés sur un rivage dont nous ignorions l’existence et qui a redessiné nos propres paysages.
Ce travail est le produit de toutes ces rencontres, amoureuse, amicale, artistique, tout simplement humaine et naturelle. Mettre en mots et en images nous permet en quelque sorte de faire circuler l’émotion, de la dompter et, plus que de l’épuiser, de la féconder. Nous voulons partager l’intime au rayonnement universel serré dans l’écrin d’un jardin qui est tous les jardins. Du plus secret au plus ouvert, du plus luxuriant au plus dévasté, il s’invite discrètement sur l’écran de nos paupières closes pour être rêvé, mais il suffit de demeurer les yeux grands ouverts pour l’accueillir avec ce qui vient et pour lequel on n’est jamais vraiment prêt.
La vie, seulement